1995-2003
Techniques mixtes sur papier
150cm X 150cm, 110cm x 100cm
Vivre ici / vivre ici ça jamais / jamais jamais je ne m’y résoudrai / moi.
Olivier Cadiot. Roméo & Juliette IP.0.L, 1989, p. 16.Et s’il est encore quelque chose d’infernal et de véritablement maudit dans ce temps, c’est de s’attarder artistiquement sur des formes, au lieu d’être comme des suppliciés que l’on brûle et qui font des signes
sur leur bûcher.
Antonin Artaud. Le Théâtre et son Double, 1938.
L’époque rythme frénétiquement une danse délétère de cobra hystérisé. Cet énervement morbide et halluciné n’est pas qu’un simulacre, un leurre (quand bien même on reconnaîtrait ici et là, des cruautés et des appétits anciens). Abel Robino sait ça parfaitement: le désarroi du présent qui dure. l’effondrement progressif mais généralisé d’à peu près tout, la vacuité théorique et critique, le nivellement chronique et vénéneux vers le bas, la prolifération d’une doxa mise en permanence sous contrôle serré et constamment polyperfusée, le mercantilisme consumériste acharné totalisant/totalitaire avec capitalisation immédiate sans appel ni frein, l’indifférence effarante aux guerres et aux misères, partout, l’appareil anxiolytique portatif devenu nécessaire aux esprits sans dogmes, l’aberration planétaire. Abel Robino sait ça parfaitement, lui qui place son travail en déséquilibre instable, en précarité délibérée. C’est son sujet, son objet et sa visée : le non-définitif, l’accidentel, le provisoire, l’immédiat impromptu, l’inouï, l’incongru. Mais le tout revisité, réactivé, dynamisé sans cesse et sans cesse dynamité, parce qu’il a renoncé tant au renoncement qu’à toute forme d’abdication. Les épiphanies sont à ce prix, celui de l’éreintement. Et il y a de l’éreintement et des épiphanies dans la peinture de Robino A travailler des croûtes, des pourrissements, des écroulements, des marges, des fissures, des bords, à y tracer des lignes ambidextres, y disposer des couleurs non complémentaires, à mélanger les matières les plus diverses et les collages, multiplier les palimpsestes ou les drames instantanés, animé par une symbolique très autobiographique et des préoccupations historiques, politique et éthiques, il arrive à une sorte d’ascèses, d’essentiel dégagé de l’ordre esthétique, où le hasard (le destin ?) intervient, où le signe s’insurge toujours dans une polysémie presque tactile. Mangeur de couleurs et buveur de maté, Abel Robino, à sa manière, nous informe et nous prévient. Le reste est de notre ressort, pour lui, l’affaire est entendue. Le rôle culturel, social, civique du peintre, du tisseur africain, est mis à disposition collective. Regardez ce qui s’y passe. Rien que ça et pas moins que ça.
Alain Bideau